Si le wokisme était un film, ce serait « Une bataille après l’autre »

Si le wokisme était un film, ce serait « Une bataille après l’autre »

Pierre Vermeren

Pierre Vermeren, normalien et agrégé d'histoire, est un spécialiste du Maghreb et des mondes arabo-berbères.
Est-ce la rançon de notre gloire révolutionnaire passée, que perpétue la mémoire des « French 75 » ? Est-ce l’excès de wokisme, qui a fini par normaliser ce mixte de féminisme et de racialisme mixés dans l’antifascisme ? Est-ce notre passion nationale antiaméricaine réincarnée en anti-trumpisme, forcément suprémaciste blanc et nazi ? Est-ce un anti-catholicisme de bazar, qui nous rappelle que toute institution est par nature coercitive et forcément à combattre ? Est-ce tout simplement notre inépuisable réservoir de culpabilité qui nous pousse à valider l’entièreté des actes des présumés dominés, même lorsqu’ils nous tirent dessus ?

Table des matières

Si le wokisme était un film, ce serait « Une bataille après l’autre »

Le film américain sorti cet automne 2025, Une bataille après l’autre, le deuxième réalisé par Paul Thomas Anderson, a connu un certain succès cinématographique, puisqu’il est classé 18e au box-office français de l’année (avec presque 1,5 million de spectateurs). Après les blockbusters et les grosses productions populaires comme les Tuche, il est l’un des premiers films « sérieux » recommandés par la critique parisienne : on devrait dire encensé, par la totalité de la critique française, de droite comme de gauche, woke comme anti-woke, le seul titre de presse ne donnant que 3 étoiles sur 5 étant La Croix. Enfin, le film est présenté dans leur palmarès annuel comme un des meilleurs films de l’année par les grands journaux de la place.

Une première dissonance est toutefois apparue dans la notation du public, infiniment moins complaisante que la critique. Pendant plusieurs semaines, la notation du public dépassait rarement 2,5 sur 5, le public anti-woke sortant plus que réservé devant ce spectacle navrant, une mise en scène fort bien faite du wokisme par lui-même. Seule la bonne figure de Leonardo Di Caprio – révolutionnaire capable d’autodérision – allant jusqu’à manier l’ironie contre les aspects les plus grotesques du wokisme en lutte armée. Mais le bouche-à-oreille ayant fait son œuvre, le public woke friendly a rempli les salles au détriment de ses adversaires, de sorte que la notation du public est remontée autour de 3,5-4 sur 5. Sans que le film ne rencontre le succès attendu eu égard à son coût (130 millions de dollars de budget, contre 50 millions pour Dracula, le film français le plus cher de l’année !) et à son casting (avec une star de rang mondial au faîte de son art, et Sean Penn en extra, dans le rôle du sinistre colonel Lockjaw – alias Tétanos).

Or de quoi s’agit-il ? Un groupe révolutionnaire californien antifa (les « French 75 » !), dont l’objet est de faire libérer des migrants en détention, attaque des institutions publiques (dont des banques et le réseau électrique), jusqu’à poser une bombe potentiellement très meurtrière. La chef de la bande est une afro-américaine (la bien-nommée Perfidia) dont la vulgarité révolutionnaire piétine les codes de la bienséance petite-bourgeoise, jusqu’à la mise en scène obscène d’une relation sexuelle avec le flic blanc pervers Lockjaw (Penn), attiré par cette créature qui rêve de l’éliminer. Elle liquide finalement un autre flic. Ayant accompli son fantasme transgressif, Lockjaw libère la révolutionnaire, enceinte sans le savoir. Huit mois plus tard, alors que les actions des French 75 redoublent, une scène d’assassinat à la kalach posée sur le ventre de Perfidia enceinte de 8 mois est présentée en apothéose ! Le décor est planté : guerre aux institutions, vulgarité déchaînée, black-power vengeur, flic blanc pervers et assassin, révolution et néo-féminisme éradicateurs, qui pousse Perfidia en lutte à abandonner la fille née de sa relation avec Lockjaw. 

Après la destruction de la bande révolutionnaire, tout le monde se disperse. La petite fille est élevée par Ghetto Pat (alias di Caprio) qui croit être son père. On les retrouve 16 ans plus tard. Le flic et sa fille métisse – à l’innocence virginale –, surprotégée, ont vécu à l’écart de la société, le père étant devenu parano et toxico. A l’inverse, Lockjaw, à force de combattre l’immigration, a pris du galon : devenu colonel, il intègre une société secrète, le « Club des Aventuriers de Noël » (sic, chrétien=fasciste), un groupe de suprémacistes blancs très méchants à qui le complotisme ambiant attribue un pouvoir de direction occulte de l’Amérique trumpienne. Trump n’étant jamais cité, tout cela reste grossièrement subliminal.

Seul problème, il est rongé par le remords d’avoir couché avec une femme noire, une circonstance rédhibitoire pour être membre de cette société secrète digne de la Camora. Or sa fille est en vie, protégée par le vieux révolutionnaire. Lockjaw se lance à la recherche de sa fille pour l’éliminer et « blanchir » son passé. Sur fond d’évasion de masse d’immigrants clandestins, la traque se déroule si mal que Lockjaw est finalement démasqué au terme d’un test ADN démontrant sa paternité ! Cette forfaiture lui vaut – reductio ad Hitlerium suprême – de terminer gazé dans une mini-chambre à gaz par ses amis « Aventuriers de Noël ». Il est en effet bien connu que la chambre à gaz est le moyen ordinaire des suprémaciste blancs –forcément nazis – d’éliminer les traîtres à leur cause !

Passons sur l’épisode du « couvent révolutionnaire » de bonnes sœurs dans lequel a été envoyée Willa, la fille de Perfidia et Lockjaw, nouvelle occasion de haine anticatholique décomplexée qui a peut-être légèrement refroidi le critique de La Croix. Après de multiples crimes et assassinats, Willa et son père adoptif se retrouvent énamourés. La jeune femme ayant découvert dans cette saga l’identité de sa mère, ouvre opportunément le jour de ses 18 ans une lettre qu’elle lui avait écrite après sa naissance, alors qu’elle venait de trahir ses camarades de lutte pour sauver sa peau (Perfidia oblige ?). La mère y proclame son amour et la nécessité de la lutte révolutionnaire. Sa fille fond en larmes, et happy end américain de rigueur, prend son baluchon et va rejoindre une manifestation révolutionnaire en cours ! La boucle est bouclée et la morale révolutionnaire est sauve.

Ce film cool et sympa, émaillé de scènes réussies – comme celle des montagnes russes dans la campagne du Nevada, bien que souvent trop longues –, qui ne lésine sur aucun des poncifs anti-réactionnaires et pro-antifas semble avoir rempli d’aise le public français bien-pensant. Est-ce la rançon de notre gloire révolutionnaire passée, que perpétue la mémoire des « French 75 » ? Est-ce l’excès de wokisme, qui a fini par normaliser ce mixte de féminisme et de racialisme fusionnés dans l’antifascisme ? Est-ce notre passion nationale antiaméricaine réincarnée en anti-trumpisme, forcément suprémaciste blanc et nazi ? Est-ce un anti-catholicisme de bazar, qui nous rappelle que toute institution est par nature coercitive et forcément à combattre ? Est-ce tout simplement notre inépuisable réservoir de culpabilité qui nous pousse à valider l’entièreté des actes des présumés dominés, même lorsqu’ils nous tirent dessus ? Ou tout simplement la bonne bouille de Di Caprio, qui excelle dans ce film ? En tout cas, si le wokisme était un film, ce serait Une bataille après l’autre.

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