Inversion victimaire : qui donc menace qui ?

Inversion victimaire : qui donc menace qui ?

Jacques Robert

Professeur émérite de cancérologie, université de Bordeaux
Un article du Monde inverse les rôles en présentant les universitaires soi-disant progressistes comme victimes alors qu’ils imposent leur vision idéologique sur les campus. À travers plusieurs exemples (Grenoble, Lyon II, blocages étudiants, etc.), Jacques Robert dénonce la complaisance institutionnelle face aux idéologies et le mépris croissant de la liberté académique.

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Inversion victimaire : qui donc menace qui ?

Jamais à court d’idées pour relancer une machine un peu grippée, Le Monde vient de publier un énième article de défense du wokisme[1]. Est-ce à dire que nos valeureux universitaires progressistes sont las de leurs tribunes qui disent toutes la même chose (et qui nous font en définitive une bonne publicité[2]) ? C’est en tout cas à deux journalistes qu’a été confiée la mission de remettre des pièces dans la machine à gifles, histoire de ne pas perdre la main.

L’originalité de ce nouveau papier est d’inverser de façon surprenante le rôle du bon et du méchant, du bourreau et de la victime, de l’outrageur et de l’outragé. Car là est le scoop : sur les campus, les universitaires progressistes vivent un véritable calvaire. Vous pensiez que les réactionnaires et autres conservateurs connaissaient les plus grandes difficultés pour s’exprimer, qu’ils étaient obligés de surveiller leurs propos et jusqu’au contenu de leurs cours[3] pour ne pas risquer de se faire menacer, voire pourchasser[4] par diverses catégories d’étudiants et parfois d’enseignants adeptes de la théorie du genre, de la cause palestinienne et du grand soir des racisés ? Eh bien ! que nenni : en réalité, ce sont eux qui font la loi, aux dires du Monde !

Autant de mauvaise foi dans la présentation de la situation prête à rire de bon cœur. On rit aussi en lisant qu’un dénommé Baudot, cité dans l’article, a estimé que ceux qui s’insurgent contre la mainmise du wokisme à l’université sont « des universitaires en perte de vitesse, en quête d’une reconnaissance médiatique qu’ils n’ont pas dans le champ académique ». Quand ce Baudot-là que les journalistes du Monde ont dégotté sera aussi connu et reconnu dans sa discipline universitaire que les trois coordonnateurs et la vingtaine de contributeurs de Face à l’obscurantisme woke, nous en reparlerons. Rapide décompte sur Amazon : Pierre-Nicolas Baudot, zéro livre ; Pierre Vermeren : une bonne quinzaine d’ouvrages ; Xavier-Laurent Salvador : cinq ; Emmanuelle Hénin : cinq également. Il en est de même pour la plupart des contributeurs[5] comme Nathalie Heinich, Guylain Chevrier, Nicolas Weill-Parot, Pierre-André Taguieff et bien d’autres.

On rit encore, mais d’un rire attristé, quand on lit dans l’article que Donald Trump aurait donné le la à nos actions. Manifestement, la gauche ne veut toujours pas considérer que, parmi les raisons de son élection, il puisse y avoir la lassitude face aux outrances d’une frange des Démocrates[6] sur le wokisme. Pourtant, chaque fois que Kamala Harris commençait un discours en indiquant ses « pronoms », elle perdait 500 000 voix. Les National Institutes of Health finançaient des recherches sur les souris transgenres en leur faisant ingurgiter des hormones croisées[7]. L’université du Michigan rétribuait[8] 1100 nonfaculty employees pour s’occuper du DEI (Diversity, Equity, Inclusion). Il était facile de prendre les électeurs à témoin des outrances pour se faire élire, et n’importe quel autre Ubu l’aurait été dans ces conditions.

L’article du Monde fait 14 000 signes, espaces comprises. Chaque phrase mériterait d’être commentée tant les affirmations sont malhonnêtes ou partiales. En voici quelques-unes.

Le passage le plus déroutant est « l’affaire grenobloise » d’il y a cinq ans, revisitée par Le Monde ; les journalistes rendent carrément un enseignant de l’Institut d’études politiques (IEP), conspué publiquement pour « islamophobie », responsable de l’amplification médiatique de cette attaque. Pensez donc : non seulement il a osé alerter une chaîne de télévision mais en plus la terrible « fachosphère » a osé s’emparer de l’affaire. Et voici qu’un directeur de l’IEP se réjouit que « la polémique désenfle » et que les étudiants soient relaxés… Avis aux étudiants : vous pouvez conspuer, menacer, dénoncer sur des dazibaos les enseignants qui ne pensent pas comme vous, vous ne risquez rien ! La hiérarchie universitaire vous soutiendra. Quant aux enseignants, ils sortiront « épuisés » de cette histoire, non par vos menaces, mais par le professeur malmené qui a osé protester et alerter l’opinion. Pour faire plier l’IEP, il a fallu que la région suspende sa dotation, ce qui a conduit l’IEP à prendre un engagement « républicain » qui n’allait visiblement pas de soi.

Voici maintenant un enseignant de l’université de Lyon II, Fabrice Balanche, qui est interdit de cours par une horde d’étudiants excités qui lui supposent telle ou telle opinion sur la géopolitique du Moyen-Orient, dont il est un grand spécialiste. La présidente de l’université, au lieu de le soutenir, donne raison aux étudiants[9]. Voilà donc une autre affaire qui « fatigue » sans doute ses collègues, lesquels voudraient bien rester tranquillement dans leur petit confort sans regarder ce qui se passe à côté. C’est ainsi que naissent les tyrannies : par le désintérêt, par la passivité, par le conformisme de ceux qui devraient porter haut et fort l’étendard de la liberté, c’est-à-dire les intellectuels, au premier rang desquels les universitaires.

J’approuve entièrement le point de vue de Francis Dupuis-Déri : « C’est de l’agitation politique, adressée à un électorat ». Effectivement, nous l’avons bien vu quand les propalestiniens ont bloqué Sciences Po et plusieurs universités. Ah, mais pas du tout ! il veut dire que ce sont les étudiants qui veulent travailler qui déstabilisent ces braves militants pacifistes qui font régner la peur parmi les étudiants juifs, par exemple ceux qui ont été exclus de leur groupe WhatsApp en raison d’un prénom à consonnance juive[10]. Quant aux étudiants ou aux enseignants qui « s’exileraient » pour poursuivre leurs recherches à l’étranger, au Canada en particulier, on doute de leur existence. Des preuves ! En tout cas, s’ils postulent à l’université d’Ottawa, ils risquent d’avoir des déconvenues puisque, là-bas, un poste a été ouvert « aux personnes noires qualifiées de l’Afrique ou de la diaspora africaine[11] ».

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