De nombreuses universités en France viennent d’ouvrir le droit au congé menstruel. L’université de Gleux-les-Lures[1]Le nom de l’université a été changé, selon une méthode journalistique bien connue. s’est particulièrement distinguée en l’instituant « pour tous les étudiants, étudiantes ». Le cadre règlementaire en vigueur, tel qu’il est consultable sur son site, donne des précisions :
« La mise en place de ce congé était une préoccupation de l’équipe présidentielle et une demande forte de nos étudiants. La convergence des désirs a conduit au printemps dernier à constituer un groupe de travail de manière à réfléchir à la faisabilité. La mise en place de ce congé menstruel est le fruit de ce travail mené en concertation entre nos services et nos étudiantes et étudiants […] ».
Voici de manière très synthétique les grandes lignes de son modus operandi :
• 10 jours d’absence pour raison menstruelle ouvert à tous (étudiantes et étudiants) par année universitaire […] – sans fournir de certificat médical ;
• le nombre de jours possiblement pris n’est pas limité dans le mois ;
• le jour doit être posé le jour J : pas à l’avance, ni après le jour d’absence ;
• une seule demande peut être formulée par jour (il n’est pas possible de déclarer plusieurs jours d’absence à la fois) […] ;
• le dispositif repose sur le principe de confiance.
Si ces dispositions en disent long sur une forme de dérégulation bureaucratiquement encadrée, il reste clair que l’égalité doit tenir compte des différences, comme l’ont établi de longue date les revendications féministes[2]Voir la remarquable synthèse d’Élisabeth Badinter L’un et l’autre, Odile Jacob, 1986., alors que l’égalitarisme inclusif qui se soucie des douleurs menstruelles des étudiants masculins suppose un déni de réalité. Pour un établissement d’enseignement, encore plus grave que la promotion d’une ignorance, c’est la diffusion délibérée d’un pieux mensonge – d’ailleurs en infraction au code de l’Éducation.
Depuis des années, on a vu se développer le mythe de l’homme enceint, avec ses émojis idoines, jusque dans la propagande du planning familial ou de la Dilcrah[3]Voir François Rastier, Petite mystique du genre, Intervalles, 2023, ch. 2.. Cela relève à présent de la superstition et évoque une forme devenue grotesque des rites de couvade, bien attestés dans diverses sociétés traditionnelles.
La confusion dont souffrent les démocraties tient en grande partie à la confusion idéologique entretenue par les universités, non seulement entre recherche et militantisme identitaire, mais entre connaissances objectivées et opinions enthousiastes. Cette confusion a été exaltée par la déconstruction qui pour mettre fin à la rationalité a promu l’indistinction catégorielle. L’indistinction des sexes, exaltée par le mot queer, aussi vide que vendeur, en est l’exemple le plus connu.
À ce propos, une enseignante de cette université nous a adressé ces réflexions :
« L’intention de départ – offrir un cadre bienveillant et inclusif – me paraît légitime. Mais le choix de formuler cette mesure comme un congé “pour tous les étudiants, étudiantes” me laisse perplexe, car il semble confondre égalité et indifférenciation.
Un congé menstruel, par définition, répond à une réalité physiologique : celle des menstruations, avec leurs douleurs, leurs déséquilibres hormonaux, parfois leurs pathologies associées (endométriose, dysménorrhées sévères). Ouvrir ce droit “à tous” au nom de la non-discrimination, c’est en réalité effacer le corps féminin sous prétexte d’inclusion. C’est transformer une mesure pensée pour reconnaître une contrainte biologique en symbole d’égalité abstraite – qui finit paradoxalement par nier la différence qu’elle prétend respecter.
Biologiquement, seules les personnes possédant encore un utérus et des ovaires peuvent connaître des menstruations. Les « hommes » trans peuvent être concernés tant qu’ils conservent ces organes ; les « femmes » trans, elles, ne le sont pas, puisqu’aucune greffe d’utérus ou d’ovaires n’existe aujourd’hui dans le cadre d’une transition. En ce sens, le “pour tous” relève davantage d’un geste politique que d’un ancrage médical ou réaliste.
Je m’interroge aussi sur les effets concrets : l’absence de certificat médical, la facilité de déclaration ouvrent la porte à des abus, qui nuisent autant à la crédibilité du système qu’à celles et ceux qui en ont réellement besoin. Une expérimentation juste devrait s’appuyer sur la confiance, certes, mais aussi sur la clarté des critères et la cohérence du sens.
Je crois que l’égalité ne consiste pas à gommer les différences, mais à leur donner la même dignité. Ce congé aurait pu être un pas fort vers la reconnaissance de la charge corporelle et symbolique portée par les femmes. En le rendant neutre, on risque d’en vider la portée ».
En quelques semaines, les résultats sont éloquents et une collègue résume ainsi la situation dans une grande école d’ingénieurs qui dépend de cette université :
« En trois semaines, plus de 20 garçons ont posé un congé menstruel. Notamment les vendredis. Et certaines filles ont visiblement leurs règles toutes les semaines. Un étudiant a demandé une autorisation d’absence le vendredi des vacances pour partir plus tôt, mais comme cela lui a été refusé par la scolarité, il a dans la foulée posé un congé menstruel ».
Bref, il suffit de se prétendre femme pour pouvoir partir en vacances plus tôt : on voudrait convaincre les étudiants masculins que les femmes sont privilégiées, on ne s’y prendrait pas autrement. Au déni de la réalité physiologique s’ajoute ainsi celui de la réalité sociale.
En Espagne, de jeunes militaires masculins ont déclaré changer de sexe pour pouvoir bénéficier d’avantages salariaux qui étaient réservés aux femmes[4]Voir source : « De l’extérieur je me sens comme un homme hétérosexuel, mais dans mon for intérieur, je suis une femme lesbienne. Et c’est ça qui compte. C’est pourquoi je suis légalement devenu une femme », a déclaré aux journalistes un solide gaillard, aussi barbu que le sapeur Camember.
Enfin, nous relayons ci-dessous l’appel à communication d’une revue sur Les monstruations féminines[5]Voir source [sic] :
« Ce numéro de Nouvelles Questions Féministes s’intéresse aux figures féminines négatives, étiquetées comme indignes, grotesques, déviantes, effrayantes, voire dégoûtantes ou monstrueuses. Plutôt que de nourrir les discours masculinistes qui érigent trop souvent ces figures en menace, il s’agit ici, dans une approche féministe, de leur redonner une forme de légitimité pour dessiner les normes de genre et la possibilité de leur transgression ».
Rendre méconnaissable le féminisme semble bien l’objectif du postféminisme déconstruit, qui s’égare ainsi dans sa propre tératologie.
Commentaire de Jacques Robert
De nombreuses universités ont maintenant réglementé ces congés destinés aux « personnes menstruées ». Quelle élégance dans la formulation ! Quelle délicatesse ! N’y avait-il pas un mot plus élégant pour dire ça, autrefois ? Les flemmes ? les fennes ? les fesses ? Ah, oui, les femmes, ça me revient[6]J.K. Rowling me pardonnera cette parodie ! ! Justement, j’en ai une à la maison.
Bien sûr, dans les écoles d’ingénieurs, l’assistance aux cours est obligatoire et la présence est contrôlée – ce n’est pas forcément un mal. Aux États-Unis, dans les formations universitaires à la vie d’adulte[7]Voir source, elle l’est sûrement aussi, vu que les jeunes s’inscrivent en fac sans être vraiment finis. En faculté de médecine, nous assistions aux seuls cours dont on savait qu’ils étaient bien faits et feraient gagner du temps pour l’apprentissage du métier. L’essentiel de la théorie s’apprenait dans les bons manuels. Écouter le jeune chef de clinique que le grand patron envoyait faire cours à sa place ânonner les détails les plus insignifiants et surspécialisés nous paraissait au-dessus de nos forces – et des nécessités de notre formation.
C’est vrai, les TP étaient obligatoires, en principe, quand il y en avait ! Devant l’afflux des étudiants et le manque d’enseignants, il n’y en a même plus dans les premières années de médecine. Autrefois, quand une fille manquait en TP d’anatomie, elle rattrapait deux jours après. Non, on ne fauchait pas une vertèbre ou un fémur pour les lui apporter. Nous étions là pour apprendre, pas pour répondre « présent » à l’appel. Personne ne posait de question et le prosecteur savait bien qu’il arrivait aux filles d’être indisposées sans qu’il y ait besoin d’un règlement pour les absoudre…
En fait, ces garçons qui saignent (du nez ?) le vendredi ont bien compris le monde adulte : ils considèrent l’université comme les employés l’entreprise. Si on sèche, si le boulot n’est pas fait, tant pis pour le patron ! Où est la passion du savoir que nous partagions tous ? En médecine, on imagine le jeune médecin disant à un patient : « Ah, zut, j’étais en congé menstruel le jour où le cours portait sur l’ulcère à l’estomac ; si vous avez mal au ventre, voyez un confrère ! » Ou un autre, en lettres, disant à l’examinateur : « M’sieur, j’ai pas pu lire Balzac, j’avais menstrues ! ». Cela dit, si l’examinatrice est Tiphaine Samoyault, professeur de lettres à l’EHESS, il aura une bonne note : elle a banni Balzac, au motif que « certains de ces textes portent des valeurs qui ne sont plus celles d’aujourd’hui[8]Voir source ».